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SANTA ELENA, MONTEVERDE
Monteverde, vous connaissez ? c’ est certainement l’endroit du territoire costaricain que connaissent le plus les Européens : certes, les photos, magnifiques, de sa forêt primaire apparaissant notamment dans les calendriers de GEO y sont pour beaucoup, mais ce qui fit surtout sa renommée c’est une campagne publicitaire un peu spéciale initiée par des enfants pour défendre la région où ils vivaient. Tout commença en 1986 : des projets touristiques se dessinaient pour "aménager" la zone, comme disent les promoteurs aux dents longues (et aux idées courtes) ; les enfants des écoles émirent l’idée de récolter de l’argent pour acheter les terrains convoités ; leurs enseignants utilisèrent leur réseau professionnel ainsi que l’internet balbutiant pour faire connaître leur combat. L’idée sympa était que chaque donateur se retrouvait virtuellement propriétaire d’un morceau de forêt costaricaine. La générosité de ce projet scolaire se répandit comme une trainée de poudre, aux Etats-Unis d’abord, puis en Europe. Aujourd’hui, 44 pays y ont participé ; les enfants ont pu acheter peu à peu 22 000 hectares, presque d’un seul tenant, à l’est du village de Monteverde ; c’est la plus grande réserve naturelle privée du Costa Rica ; elle s’appelle "La forêt éternelle des enfants" pour bien montrer qu’ils ne lâcheront pas un pouce de terrain.
Il faut dire que ces enfants ont de qui tenir car, en fait, l’histoire commence de par la volonté de leurs grands-parents : jusqu’aux années 30, personne ne vit ici dans la montagne ; elle est couverte par la forêt primaire, juste parcourue par quelques chasseurs sans doute ; plus bas, dans la vallée, les mines d’or ferment les unes après les autres car il n’y a plus de minerai à extraire ; c’est alors que des mineurs au chômage partent de Las Juntas pour défricher des zones en altitude qui leur paraissent propices à l’élevage ; ils créent ainsi le village tico qui prendra le nom de Santa Elena. Puis, en 1949, dans l’état américain d’Alabama, se passe un évènement qui va donner un coup de pouce à ces paysans pionniers : c’est la guerre en Corée et l’oncle Sam envoie ses boys combattre le communisme ; seulement, il y a un hic : les Quakers, par conviction religieuse, refusent d’y aller ; on les met donc en prison. A leur sortie, ils se disent que, décidément, les Etats-Unis ne sont plus le pays dont ils avaient rêvé et… émigrent au Costa Rica : en effet, le pays vient de voter la suppression de son armée ; ils ne risquent pas de s’y voir enrôlés par une énième folie militaire. Ils cherchent une zone à l’écart des turpitudes de ce monde où démarrer une autre vie et aboutissent à Monteverde, juste à côté de Santa Elena. Désormais, les deux communautés vont unir leurs efforts pour préserver leur petit paradis.
Nous y avons passé deux jours et demi très agréables mais, pour les mériter, il a fallu quitter l’Interaméricaine puis monter sur 18 kms la cordillère de Tilaran par une piste caillouteuse et poussiéreuse. Au fur et à mesure de l’ascension, le paysage devient plus magnifique : petites collines serrées les unes contre les autres au pied de versants plus abrupts, alternance de forêts sauvages et d’aires plus ou moins domestiquées en un patchwork de verts, le tout baigné par une lumière changeant au gré des nuages.
Santa Elena et Monteverde ne sont séparés que par quelques kms ; la zone naturelle qu’ils protègent s’étend entre 800 et 1800m d’altitude, de chaque côté de la ligne de partage des eaux qui dévalent jusqu’à l’Atlantique ou vers le Pacifique ; les plus optimistes vous diront que depuis le sommet de la cordillère de Tilaran on peut voir les deux océans : je veux bien les croire mais ce ne doit pas être le cas tous les jours : en effet, les vents chargés d’humidité venus du nord-est et du sud-ouest y pulvérisent en moyenne 2500mm d’eau chaque année ; c’est une petite pluie fine entrecoupée d’éclaircies courtes et rapides ; cela donne un type de végétation appelée "el bosque nuboso" : la forêt de nuages ; joli nom, n’est-ce pas ?
Bien sûr, les agences touristiques ne manquent pas sur place : vous sélectionnez les activités que vous voulez faire et elles vous proposent un "package" tout compris. Celle que nous avons choisie s’appelle Selvatura et possède sa propre zone d’activités au nord de Santa Elena. D’emblée, nous avons écarté le circuit dans la canopée : pour beaucoup parce qu’on avait la trouille (au niveau de la cime des arbres, on va d’un point à un autre, sur une distance pouvant aller jusqu’à 1km !, suspendu à un câble par un harnais) : décharge d’adrénaline garantie, accompagnée de cris plus ou moins perçants suivant le sexe de l’homo turisticus suspendu ; nous y avons aussi renoncé, pour un peu, parce que l’intérêt écologique est discutable (l’insertiondu circuit dans le paysage n’est pas toujours optimum, la mise en place des pylones de sustentation sous-entend déboisement de chemins d’accès et de zones pour les plateformes "départ-arrivée"). Nous avons commencé par une randonnée de 5kms passant par 8 ponts suspendus :
Vous pouvez ainsi alterner les moments d’observation au niveau de la cime des arbres (voire au-dessus) avec ceux passés dans la forêt primaire "aménagée". Autant le dire tout de suite, nous n’avons pas vu beaucoup d’animaux : le temps pluvieux, et "froid" pour tout être vivant au Costa Rica (18-20 degrés…), ne favorisait pas leur sortie. Par contre, voir les lianes, les arbres, les fougères… d’une autre façon est une vraie découverte : c’est un peu comme pénétrer pour la première fois dans la maison de quelqu’un qu’on croyait connaître (ses choix de décoration peuvent nous surprendre et sa manière de vivre nous déconcerter…).
Ici, tout est fait pour faciliter le "métier" de touriste : nul risque de glisser dans quelque trou malicieusement placé sur le parcours ; aucune disparition imputable à un animal sauvage n’a été signalée depuis les calendes grecques (tiens, comment on pourrait traduire l’expression en tico ?) ; au contraire, le cheminement et l’orientation sont facilités, la forêt est très bien mise en valeur et entretenue et, malgré le nombre de visiteurs, on a l’impression de l’avoir pour soi tout seul. Il n’en est pas de même pour la visite du jardin des colibris : espace restreint au-dessus duquel passent avec une régularité de métronome des êtres manifestant bruyamment leur joie d’être attachés avant qu’on les précipite vivants dans le vide ; lieu qui n’a de "jardin" que le nom au regard de sa surface bétonnée ; colibris qui se satisfont d’une substance synthétique dispensée dans des abreuvoirs en plastique rouge. Si vous voulez observer les colibris dans leur milieu naturel, je connais deux autres endroits qui valent cent fois celui-ci : la ferme biologique Finca Köbö près de La Palma dans la péninsule d’Osa et Rara Avis, une réserve privée jouxtant le Parc national Braulio Carillo, à 15 kms au S-E d’Horquetas. Passée cette déception, nous nous sommes rattrapés avec le jardin aux papillons :
Imaginez une serre gigantesque en forme de voûte remplie à ras bord d’arbustes, de plantes et de fleurs tropicales de toutes les couleurs ; un guide anglais-espagnol vous donne une foule de renseignements sur l’élevage des papillons (beaucoup naissent les ailes humides et froissées ; le soleil leur donne un coup de fer avant leur premier envol), leur nourriture (je ne savais pas que certains préféraient les fruits aux fleurs…) et même leur sexualité (les morphos par exemple meurent après leur premier accouplement !) ; une plate-forme en bois vous permet de "dominer la situation" et de les observer plus facilement.
Depuis que je viens au Costa Rica, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de constater qu’ici, en dépit de la culture machiste, les femmes semblent plus énergiques, s’investissent plus que les hommes : il n’est pas rare de voir des mères de famille vendre leurs plats « faits maison » dans la rue pour améliorer leur ordinaire. J’ai encore eu un exemple de cette force de caractère en visitant le village de Monteverde : il s’y trouve une coopérative artisanale appelée CASEM ; elle existe depuis 1982, fondée par huit femmes qui cherchaient un lieu pour vendre leurs produits : colliers, céramiques, bijoux, nappes, objets en bois, T-shirts, etc… Tous sont faits à la main en utilisant des matériaux locaux. Chaque femme y gagne en indépendance financière tout en respectant son milieu de vie. Aujourd’hui, 30 ans après ses débuts, la coopérative compte 92 membres : 89 femmes et … 3 hommes (ouf ! l’honneur est sauf).
Pour l’anecdote, le restau où nous avons soupé s’appelait « Bon appétit ! » et sa carte proposait du filet mignon et, non pas du coq au vin, mais du porc au vin rouge.
Notre dernier jour nous l’avons passé à la Réserve biologique de la forêt de nuages de Monteverde.
Le contraste avec le parc de Selvatura est flagrant : végétation plus sauvage, quasi absence de sons humains, présence majestueuse des éléments. L’endroit est administré par un Centre scientifique tropical où des chercheurs étudient les relations entre nature et être humain ; ce qui explique qu’on ne puisse visiter que 3% de son territoire : on y a tout de même tracé 13 kms de sentiers. Des randonnées nocturnes sont organisées à la demande pour observer grenouilles, insectes de toutes sortes, araignées, et accessoirement écouter les coatis se chamailler dans les profondeurs de la forêt. Dernière précision : en 2007, cette destination a été élue comme étant l’une des 7 merveilles du Costa Rica ; c’est dire son importance…